jeudi 13 septembre 2007

L’acrimonie des cunts



[1]

J’ai un cerveau très logique. Pour moi, la reflexion est quelque chose de mathématique. Bien avant de commencer ce livre, je savais que je certains éléments auraient à y figurer afin de former un tout équilibré. Le chapitre sur la prostitution m’a fait trébucher. Le viol – que vous rencontrerez au prochain chapitre – a été plutôt douloureux. Il ne m’est jamais venu à l’idée d’omettre un seul de ces éléments. J’écris cette petite intro parce que j’adore, je chéris l’idée de ne pas inclure ce chapitre sur l’élément Acrimonie. Des frissons d’extase descendent le long de ma colonne vertébrale quand j’imagine le rayer d’un gros X bien rouge.
Cependant, mon cerveau ressemble parfois à un professeur d’algèbre de 3ème, très las, et qui n’a pas la patience de supporter mes petites blagues.
Il a été très difficile à ma sœur et moi d’admettre la nature insidieuse de l’acrimonie qui était (et est encore parfois) présente dans notre relation. Nous avons appris, pendant notre socialisation dans une culture destructrice, à nourrir des émotions pourries, telle la jalousie, l’envie et toute une série de mauvaises vibrations. Il nous a fallu des mois entiers de conversations basées sur une honnêteté totale, sur l’acceptation l’une de l’autre et sur notre amour mutuel avant d’arriver à appréhender toutes les habitudes négatives de notre relation qui avaient grandi en même temps que nous.
L’idée d’admettre la présence de cette acrimonie dans toutes les relations féminines m’horrifie. Cette acrimonie va bien au-delà de la jalousie et de mauvaises ondes générales, elle s’exprime aussi dans des formes accablantes de racisme, age-isme, class-isme, homophobie et réification.
J’ai tenu ma sœur dans mes bras quand nous sommes rentrés de l’hôpital où elle est née. Ma sœur et moi, on remonte loin. Nous, en revanche, on vient de se rencontrer. […] Je ne sais absolument pas qui vous êtes, mais je vais commencer à vous parler de trucs pas cools que vous êtes peut-être en train d’entretenir et de perpétuer.
Gros soupir.
Cependant, je sais que le fait d’avoir fait face à mon acrimonie dans mes relations et de m’être pardonnée m’a libérée, et améliore intensément la qualité de ma vie. Je suis bien placée pour connaître la façon dont se manifeste cette acrimonie entre femmes dans notre culture, et je ne peux qu’en conclure que cette impression de liberté et d’amélioration générale sera aussi vraie à une plus grande échelle culturelle.
Dans un entretien, Fiona Apple a décrit une période pourrie de sa vie – dont elle savait qu’elle devait la traverser pour survivre – comme étant ses « années de chien ».
Dans le même esprit, je vous présente le chapitre « de chien » de Cunt.
[…]
Les femmes choisissent d’être cruelles, compétitives, jalouses ou pleines de préjugés les unes par rapport aux autres, en partie parce qu’en grandissant nous apprenons qu’un comportement négatif vis-à-vis des femmes est acceptable, et en partie parce qu’il est difficile de nous percevoir telles que nous sommes. Nous percevoir nous-même correctement demande un engagement et des efforts réels.
Cette réticence à nous voir telles que nous sommes est fortement exacerbée par le fait que, bien souvent, nous ne voyons pas la moindre ressemblance entre nous-même et les images des femmes de notre société. Les femmes qui nous sont présentées dans les pubs, les émissions de télévision, les films et les clips musicaux sont coiffées, maquillées et habillées selon des critères de beauté et laideur établis par des associations masculines.
En conséquence, de nombreuses femmes méprisent et blâment les femmes qui travaillent des les entreprises génératrices d’images fausses. Mais les femmes qui basent leur identité et leur sécurité économique sur un critère spécifique de « beauté » vivent dans une industrie chargée de peur des cunts. Certaines femmes choisissent de travailler dans des conditions de destruction de confiance en soi telles que celles-ci parce que la peur des cunts est extrêmement valorisée dans notre société et parce que les entreprises sont disposées à payer aux femmes des sommes d’argent exorbitantes pour glorifier des illusions de beauté qui sont gérables pour la gent masculine.
Une de mes amies les plus chères a été autrefois un de ces über-mannequins. Cette expérience l’a tellement détruite psychologiquement que je sais qu’elle serait extrêmement blessée si je donnais son nom. J’ai passé un week-end avec elle il y a quelques années, pendant lequel elle a sorti ses books. Les photos montraient une gamine super chic qui pouvait être sportive, piquante, juvénile, ou flippante. Je n’aurais jamais jamais jamais reconnu mon amie dans ces photos. « Ils m’ont faite », me dit-elle. « C’était mon talent : permettre aux gens du milieu de me donner le look qu’ils voulaient voir. » Quand elle disait aux photographes qu’elle était intéressée par la photographie, ils se moquaient d’elle. Quand elle quitta le mannequinat, elle devint une photographe, réalisatrice et designer reconnue et célèbre.
Ca ne mène personne à rien de cracher sur les mannequins, actrices, danseuses et femmes qui s’identifient à ces critères masculins de « beauté ». Si les femmes voulaient vraiement de réelles images de belles femmes puissantes et cuntlovin’, il faudrait infiltrer et révolutionner les industries de la pub, de la télé, du cinéma et de la musique de l’intérieur.
Il est moins directement pénible de réagir de manière négative envers ces femmes plutôt que de faire l’effort de se demander honnêtement ce à quoi ces femmes nous renvoient, dans ce que nous aimons ou détestons ou désirons ou avons peur d’aimer ou ce qui nous fait peur.
J’ai une autre amie qui était pathologiquement agressive envers les femmes bien en chair. Elle était extrêmement mince et admettait sans complexes que c’était sa propre peur d’être « grosse » qui était le véritable problème. Un jour, elle m’a dit « Je pense que d’une certaine manière, je suis jalouse, parce que potentiellement, les grosses s’aiment elles-mêmes quoi qu’en pense la société, et il est évident que ce n’est pas mon cas. »
Après cette conversation, je lui ai offert un paquet de reproductions de tableaux de femmes voluptueuses dans des positions érotiques. Elle en a mis quelques unes dans sa salle de bain. Le temps passant, ses opinions envers les femmes et les images de son corps commencèrent à évoluer et elle prit du poids. Ces images positives de femmes l’ont aidé à développer des perspectives nouvelles et plus saines, mais c’était son propre courage en étant honnête envers elle-même qui l’a réellement incitée à créer des changements positifs dans sa vie.
C’est bien de prendre l’habitude de consciemment s’arrêter de souhaiter du mal à d’autres femmes et de se demander « Qu’y a-t-il de moi que je retrouve en elle ? ». Quand on est capable de répondre honnêtement à cette question sans perpétuer de la méchanceté ou une auto-critique, on devient une cuntlover on high.
[…]
L’acrimonie entre les femmes blanches et les femmes de couleur n’est qu’un des noyaux dans notre délicieuse tarte aux cerises. Dans chaque tribu, l’acrimonie raciale est présente. L’acrimonie est une manière de vivre dans la société américaine jusqu’au moment où vous décidez que ça suffit. Toutes les races humaines sont divisées et isolées les unes des autres.
C’est la maison que Jack a construite.
Les Chinoises ont peut-être des stéréoptypes négatifs envers les Philippines, qui peuvent de ne pas penser du bien des Juives, qui peuvent grandir en pensant du mal des musulmanes, qui pensent peut-être que les lesbiennes sont le fléau de la terre, qui pensent que les femmes mariées à des intégristes catholiques sont l’incarnation du mal, qui pensent que les adolescentes qui avortent devraient atterrir en centres de détention juvénile.
Etcétéra étcétéra.
A l’école, nous apprenons qu’une des meilleures tactiques de survie est de faire partie d’une clique. Avec nos amis, nous créons un monde minuscule avec ses codes de conduite, de morale, d’habillement, de communication, d’ethnicité et de sexualité. Aprsè cela, nous commençons à juger tous ceux qui ne font pas partie de notre petit monde d’après les critères que nous trouvons acceptables. Cela s’appelle « diviser pour mieux régner » et il se trouve que c’est exactement la façon dont les sociétés blanches et patriarcales fonctionnent. Quand vous choisissez de ne pas voir comment vous vous-même en tant qu’individu pérpétuez ce modèle social, votre monde devient – ou reste – assurément petit, « à l’abri », mesquin, judgmental et terne/

[…]

Si vous voulez savoir comment cette oppression sociétale empiète sur votre liberté, allez dans la salle de bain, regardez-vous dans les yeux et faites face à votre douleur sans la condamner. N’allez pas plaindre les pauvres Saoudiennes ou Pakistanaises avant d’avoir fait cela. N’allez pas casser du sucre sur le dos des übermodels avec des seins en silicone avant d’avoir fait cela. Ne vous moquez pas de femmes de classes ou d’ethnicités différentes des vôtres, des lesbiennes, des bisexuelles, des hétérosexuelles, des femmes grosses, des femmes maigres, des vieilles femmes, des jeunes femmes avant d’avoir fait cela.Le monde continuera à être un sentier de larmes tant que les gens ne seront pas prêts à faire face à la douleur du monde dans le miroir de la salle de bain.

[1] Muscio, Inga (2002) Cunt: A Declaration of Independence, Seal Press, New York, 305 p.

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