jeudi 13 septembre 2007

Communication alternative


[1]


Car il ne sera temps de parler de post-féminisme que lorsque nous parlerons de post-patriarcat.
Nancy Fraser

Au printemps 1995, Gloria Steinem vint parler dans ma ville. Quand j’annonçai la conférence à mes étudiants de première année, ils me regardèrent sans expression. « Gloria qui ? », demanda une femme assise au premier rang. A 26 ans, je fus déconcertée de constater que ma conviction de l’importance de Gloria Steinem n’était pas partagée par la génération suivante. Dans la queue pour la conférence, je vis avec incrédulité des manifestants – des hommes adultes en casquettes de base-ball et chemises de bûcheron – passer des prospectus « Take Back The Penis ». Exasperée d’un côté par les vieilles tactiques des gangs du pénis, et de l’autre désenchantée par le nombre de sondages qui montrent que les femmes, bien que soutenant les enjeux du féminisme en rejetaient l’étiquette, je décidai de prendre les choses en main.
Le lendemain de la viste de Ms Steinem, je partis dans les toilettes de la bibliothèque des « undergraduates ». Je griffonnais la question suivante sur la porte « Le féminisme est-il mort ? ». Les réponses furent indignées. « Le pape est-il mort ? » répondit la première personne ; « Hell no ! », ajouta une seconde ; « Il ne mourra que si nous laissons faire », dit une troisième.
Dans le vif débat qui suivit, des taggeuses anonymes se confrontèrent pour donner une définition au féminisme, remettant en cause ce qui définissait une féministe. « Est-ce qu’une femme peut travailler chez Hooters[2] et être féministe ? » « Si je suis contre l’avortement, est-ce que je peux être féministe ? » « Qu’est-ce que c’EST qu’une féministe ? ». J’observai pendant une semaine exaltante d’arrêts pipi journaliers les femmes de la troisième vague embracer le débat féministe avec la ferveur révolutionnaire des philiosophes de toilettes publiques. Le vendredi, la porte était couverte de questions, de contradictions, de définitions et d’engagements, un témoignage vivant du futur du féminisme, qui je crois, remplirait Gloria Steinem de fierté. « Le féminisme », écrivit une femme vers la fin de la semaine, « est la capacité d’une femme à transcender les barrières de race, classe et sexe dans le but de conceptualiser et de vivre sa vie au maximum ».
Bien que ce forum-là disparut en un coup de torchon, j’espère que la troisième vague continuera à trouver des forums aussi personnels et où s’exprimer avec autant de verve et d’aplomb pour conceptualiser et vivre nos vies. Pour moi, c’est l’héritage féministe le plus précieux. Nous ne sommes pas la première génération à devoir lutter contre les gangs du pénis et les sceptiques. Et nous ne serons pas la dernière.


[1] Deborah L. Siegel. Reading Between the Waves : Feminist Historiography in a « Post-Feminist » Moment, in Heywood, Leslie, et Jennifer Drake (Ed.) (1997) Third Wave Agenda: Being Feminist, Doing Feminism, University of Minnesota Press, Minneapolis., p55.

[2] Hooters est une chaine de restaurants dont les serveuses sont une des attractions principales. « Hooters » en argot veut dire « gros seins ».

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