jeudi 13 septembre 2007

On fait du sexe, là?


[1]


Quelques faits autobiographiques ennuyeux : je suis née à Chicago le 31 décembre 1961. Je suis sortie diplômée de Reed College en 1983 et je vis dans la baie de San Francisco depuis 1984. Je travaille à Last Gasp, une entreprise d’édition alternative de livres et de BDs.
Greta Christina

Quand j’ai commencé à avoir des relations sexuelles avec des gens, j’aimais bien les compter. Je voulais garder le fil, savoir combien il y en avait eu. C’était une source de fierté, d’identité de savoir avec combien de personnes j’avais couché dans ma vie. Donc, Len était le premier, Chris le second, le petit accro à l’acide dont j’ai oublié le nom le troisième, Alan = numéro 4, et ainsi de suite. C’en est venu au point où, quand je couchais avec un mec pour la première fois, au moment où il me pénétrait (je ne couchais qu’avec des hommes à l’époque), la première chose qui me venait à l’esprit n’était pas « Oh oui, c’est bon », ou « Qu’est-ce que je fous avec ce nase ? » ou « Je m’ennuie ». Non. La première chose qui me passait par la tête, c’était « Sept ! »
Cette énumération avait des résultats intéressants. Je cherchais un sens aux nombres. Une de mes théories était qu’un amant sur quatre était vraiment génial, et j’essayais de comprendre la signification de ce cycle. Parfois j’essayais de déterminer le genre de personne que j’étais selon le nombre d’amants que j’avais eu. A 18 ans, j’avais couché avec 10 mecs. Est-ce que j’étais normale, inhibée, une vraie Marie-couche-toi-là, une bohémienne à l’esprit libre, ou quoi ? Ce n’est pas que je comparais mes chiffres à ceux des autres. C’était ma structure exclusive, un jeu que je jouais dans l’intimité de ma tête.
Puis les chiffres commencèrent à monter, comme ils ont tendance à le faire, et garder le fil devint plus difficile. Je me souvenais que le dernier était numéro 17, donc celui-ci devait être 18, mais je commençais à avoir des doutes sur la précision de mes comptes. Je restais éveillée la nuit en pensant, bon, il y a eu Brad, et ce mec le jour de mon anniversaire, et puis David… non, attends, j’ai oublié le ec avec qui je me suis bourrée la gueule à une soirée pendant ma première semaine de fac… donc ça fait 7, 8, 9… et à 2 heures du matin, j’ai finalement rétabli mes comptes. Mais j’avais toujours une impression lancinante d’avoir peut-être oublié quelqu’un, un horrible petit être sordide dont je voulais oublier qu’il avait été dans mon corps. Et, pour autant que je veuille oublier l’horrible, je voulais encore plus avoir un compte exact.
C’était de plus en plus dur. Et j’ai commencé à me demander ce qui comptait vraiment comme du sexe. Il y avait eu cette fois avec Gene, par exemple. J’étais furieuse contre mon mec, David, qui m’avait trompée. Gene et moi étions amis. J’étais allée le voir cette nuit-là pour me plaindre de David. Il avait été super sympa, bien sûr, et il avait commencé à me faire un massage, et on avait parlé et on s’était touchés et on s’était confiés et on s’était pris dans les bras puis on avait commencé à s’embrasser, et puis on s’était blottis l’un contre l’autre, et puis on s’était caressés, et puis tout était parti en vrille et on avait commencé à rouler sur le lit et à s’attraper, se pousser, se tirer…etc, etc. Il ne l’a jamais introduite. Il le voulait, et moi aussi, mais je voulais être fidèle à mon mec. On n’a même jamais enlevé nos vêtements. Quelle nuit. Une de mes meilleures, en fait. Mais pendant longtemps, je ne l’ai pas comptée.
Plus tard, des mois et des années plus tard, alors que j’étais allongée à penser à ma liste, je me demandais, « Pourquoi est-ce que Gene ne compte pas ? Est-ce qu’il ne compte pas parce qu’il ne m’a jamais pénétrée ? Ou est-ce qu’il ne compte pas parce que j’avais besoin de garder ma supériorité morale vis-àvis de David, mon statut de petite amie martyre et toujours fidèle, et que si ce que j’avais fait avec Gene comptait, alors je n’avais plus le droit de me sentir blessée et supérieure ? » Bien plus tard, j’ai finalement fait l’amour avec Gene et j’ai ressenti un profond soulagement, parce qu’il avait finalement un numéro et je savais enfin qu’il comptait.

Puis j’ai commencé à faire l’amour avec des femmes, et ça, ça a bien foutu en l’air mon système. J’avais toujours basé le nombre de mes partenaires sur la définition de la pénétration vaginale par le pénis[2] - le sexe, quoi. C’est une distinction simple, binaire. Est-ce qu’il était entré ou pas ? Oui ou non ? Un ou zéro ? Evidemment, c’est une définition un peu arbitraire, mais c’est la coutume, avec une tradition ancienne et respectée derrière elle, et quand je ne faisais l’amour qu’avec des hommes, je n’avais pas de raisons de la remettre en question.
Mais avec les femmes, pour commencer, il n’y a pas de pénis, donc mon système était planté dès le départ. Et puis il y a tant de façons pour les femmes de faire l’amour, en se touchant, se léchant, se frottant, avec les doigts ou le poing, avec des vibros, des godes, des légumes ou avec tout ce qui nous inspire, ou avec rien d’autre que les corps nus. Bien sûr, c’est vrai pour le sexe entre hommes et femmes aussi. Mais entre femmes, il n’y a pas de méthodes qui ait la préséance et l’appui de millénaires d’histoire pour être celle qui compte vraiment. Mais quand on fait du sexe, il n’y a pas de queue, donc on n’a pas l’impression que C’est Ca Qui Est Important, Maintenant On Fait Du Sexe, et que le reste n’est que les ‘préliminaires’ ou les ‘postliminaires’. Quand j’ai commencé le sexe avec les femmes, j’ai dû laisser tomber le système binaire.
Ce qui voulait dire bien sûr, que ma liste d’amants était complètement plantée. Pour la garder, il fallait que je revienne en arrière et que la reconstruise en incluant tous les gens avec qui j’avais bien joué au docteur, à qui j’avais fait des fellations ou qui m’avaient fait des cunni. Je devais même réévaluer la place sacrée du Numéro Un. Mais à cette époque, j’avais de toute façon perdu tout interêt pour ma liste. Cependant, la question cruciale était toujours là : qu’est-ce qui compte comme du sexe ?
C’était important pour moi de le savoir. On sait ce que c’est que du sexe, parce que quand on fait du sexe avec quelqu’un, notre relation change, non ? N’est-ce pas ? Ce n’est pas que le sexe en soi doive changer les choses, mais après coup, quand on est conscientEs de la connection sexuelle, quand on est avec la personne en train de parler poliment alors qu’on pense « J’ai fait du sexe avec cette personne », ça change des choses, non ? Enfin, c’est ce que je croyais. Et si le fait de faire du sexe avec un ami peut modifier ou troubler la relation amicale, pensez à quel point cela devient bizarre quand on n’est pas sûrE d’avoir ou non fait du sexe.
A mesure que je faisais plus de choses en matière de sexe, la distinction entre sexe et non-sexe devenait floue. Il y avait des choses qui étaient à cheval sur la distinction. Ce n’est pas seulement le territoire que j’appelai sexe qui s’était étendu ; la line de démarcation elle-même s’était élargie et transformée en vaste zone grise. Elle ressemblait moins à une frontière qu’à une zone démilitarisée.
Quel étrange endroit où vivre. Pas désagréable, juste étrange. C’était comme une dissonnance cognitive, mais agréable. C’est comme si on se réveillait d’un cauchemar irresistible et hyperréaliste. C’est l’impression qu’on a quand on se rend compte que tout ce que l’on sait est faux, et que c’est plutôt génial, parce que les choses étaient pénibles et stupides avant, et elles nous avaient bien foutu en l’air.
Mais pour moi, le fait de vivre dans une question me conduisit naturellement à chercher une réponse. Je ne peux pas simplement hausser les épaules et dire « J’sais pô. » Donc, même si elle est incomplète et provisoire, je veux trouver une définition.
Je sais quand je me sens sexuelle. Je me sens sexuelle quand mon sexe est mouillé, mes tétons sont durs, mes paumes humides, mon esprit embrumé, ma peau picote et est super sensible, les muscles de mes fesses sont tendus, mon rythme cardiaque s’accélère, quand j’ai un orgasme (ça, c’est ZE indice). Mais se sentir sexuelle, ce n’est pas faire du sexe. Doux Jésus, si j’appellais sexe toutes les fois où je suis attirée par quelqu’un, je serais encore plus perdue que je ne le suis maintenant. Même être sexuelle avec quelqu’un n’est pas la même chose que faire du sexe.
Certains de mes amis me disent « si tu avais l’impression que c’était du sexe pendant que tu le faisais, alors c’était le cas». C’est une idée intéressante. Elle m’a certainement aidé à construire une histoire sexuelle cohérente sans être épouvantablement révisionniste, en redéfinissant mon passé selon la nouvelle définition. Mais à présent la question est inévitable; définissons le sexe comme ce que je crois que c’est; mais que crois-je que c’est?
Peut-être pourrait-on dire que le sexe est la recherche consciente, consensuelle et mutuellement reconnue du plaisir partagé? Pas mal. Si vous vous excitez mutuellement, et que vous le dites, et que vous continuez, c’est du sexe. C’est suffisamment large pour englober des pratiques plus fantaisistes que le contact génital/ orgasme; c’est aussi suffisamment précis pour ne pas inclure tous les épisodes d’excitation. Finalement, cette définition contient des éléments que j’estime être vitaux; la reconnaissance des sentiments et de l’autre, le contenu, la réciprocité et la recherche du plaisir.
Mais qu’en est-il des situations où l’on accepte une relation sexuelle sans en tirer de plaisir? Beaucoup de gens (et moi comprise) ont eu des relations sexuelles dont nous n’avons pas tiré beaucoup de plaisir, ou que nous ne désirions pas vraiment, mais à moins que ces relations aient été non consensuelles, nous les rangerions quand même dans la catégorie «sexe«.
Peut-être que si les partenaires en présence estiment que c’était du sexe, alors c’en était, que l’on se soit amusé ou pas. Cela nous débarrasse de la question du sexe consensuel mais dont on n’a pas profité. Malheureusement, la question est remise sur le tapis. Il faut maintenant considérer les vagues notions sur le sexe de différentes personnes, et voir où elles se rejoignent… Trop compliqué.
Bon alors, le sexe comme recherche consciente, consensuelle et mutuellement reconnue d’au moins unE des partenaires? C’est mieux. Cela inclut tous les éléments ainsi que les situations ou l’une des personnes participe pour une raison autre que le plaisir sexuel - statut, réconfort, argent, le plaisir du partenaire… etc. Mais que se passe-t-il si aucun des partenaires ne s’amuse, chacunE le faisant parce qu’il/elle croit que l’autre en a envie? Ugh.
Je rame... Même la définition classique - sexe = pénétration - présente un sérieux problème; elle inclut le viol. Si ce n’est pas consensuel, ce n’est pas du sexe, mais je crois que c’est le seul point qui soit clair. Plus je retourne la question, plus je me pose de questions. A quel moment précis une rencontre devient-elle sexuelle? Si une interaction non sexuelle le devient, était-elle sexuelle depuis le début? Qu’en est-il du sexe avec quelqu’un qui dort? Est-il concevable qu’une personne ait une relation sexuelle et pas l’autre? Il me semble que quelque soit la définition que je trouve, j’arrive toujours à trouver une situation qui la remette en question.


[1] Greta Christina in Crawford, Mary, et Rhoda Unger (Ed.) (2000) In Our Own Words: Writings From Women's Lives, McGraw Hill, Boston., p 163.
[2] ‘intercourse’ en anglais

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