dimanche 16 septembre 2007

On peut soigner les femmes victimes d’excision

J'ai franchement hésité à mettre cette photo qui me rend malade. Mais la réalité est pire qu'une photo.

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Entretien avec le Docteur Pierre Foldès

Après avoir sillonné le monde en tant que médecin humanitaire, le chirurgien urologue Pierre Foldès se consacre aujourd’hui pleinement à la lutte contre l’excision. Ayant mis au point une technique unique au monde, il reconstitue le clitoris des femmes victimes de ces terribles mutilations génitales. Il nous explique son combat.

Doctissimo : Pourquoi vous être intéressée aux femmes victimes d’excision ?
Dr Pierre Foldès : Principalement pour deux raisons. Premièrement, lors d’une mission humanitaire de l’Organisation mondiale de la santé au Burkina Faso, nous devions soigner les nombreuses complications de ces excisions : des problèmes d’incontinence, des complications obstétricales graves… Lors des consultations, des femmes m’ont demandé d’intervenir sur les douleurs liées aux cicatrices. Enfin, en tant que chirurgie urologue, j’avais pratiqué des techniques de réparation et d’allongement de la verge, qui me semblait capable d’aider ces femmes après quelques adaptations. De retour en France, j’ai adapté et mis au point cette technique.
Doctissimo : En quoi consiste cette technique chirurgicale unique au monde ?
Dr Pierre Foldès : Lors de l’excision, la partie externe du clitoris est enlevée, et non sa totalité qui fait une dizaine de centimètres de longueur. L’opération consiste à retirer la cicatrice (souvent à l’origine des douleurs), à aller chercher sa partie interne, à la repositionner dans un emplacement anatomiquement normal en libérant les ligaments qui la retiennent et à la ré-innerver. En tout, l’opération dure entre 45 minutes et une heure.
Doctissimo : Toutes les formes d’excision sont-elles opérables ?
Dr Pierre Foldès : Oui, toutes les formes d’excision sont opérables et permettent d’obtenir un bénéfice esthétique et sensoriel. Dans tous les cas, la chirurgie réparatrice permet de réparer l’excision et les lésions associées : de l’excision féminine (ablation du capuchon) à l’infibulation (résection de la hampe du clitoris, des petites lèvres et suture des grandes lèvres).
Doctissimo : Combien de femmes avez-vous opéré ? La demande est-elle croissante en France ?
Dr Pierre Foldès : J’ai aujourd’hui opéré à peu près 600 à 700 femmes, dont 500 en France avec les dernières techniques. Chaque mois, je reçois des dizaines de demandes. De nombreuses femmes de 18 à 50 ans avouent qu’elles l’auraient fait avant si elles avaient été informées plus tôt de cette technique. Il faut donc améliorer l’information pour toutes ces femmes. On estime qu’en France au moins 30 000 jeunes filles sont menacées d’excision. Cette technique est remboursée depuis 2004 en France.
Doctissimo : Combien de recul avez-vous par rapport à cette technique ?
Dr Pierre Foldès : Les premières opérations ont été effectuées, il y a 25 ans. Pour les dernières techniques opératoires effectuées en France, le recul est de plus de 5 ans. Après l’opération, les douleurs sont supprimées dans la presque totalité des cas. Sur le plan esthétique, la reconstruction d’un massif clitoridien permet d’obtenir une forme anatomique normale dans près de 8 cas sur 10. Dans le reste des cas, l’aspect est satisfaisant mais la peau peut recouvrir le capuchon reconstruit. Sur le plan de la sensibilité, on peut penser que 60 à 70 % des femmes éprouvent de nouvelles sensations au bout de quatre à six mois. Mais il est difficile d’avoir des données précises car d’une part, ces femmes n’ont pas de point de comparaison et d’autre part, ces mutilations génitales s’accompagnent d’autres facteurs qui peuvent handicaper la reconstitution de sensations clitoridiennes. Toutes les femmes opérées sont orientées vers un psychologue ou un sexologue qui saura les accompagner lors de cette ré-appropriation de leur intégrité physique.
La publication de résultats sur un grand nombre de femmes est en cours de publication. Ces études pourraient débloquer la situation et populariser plus généralement cette technique auprès du corps médical. Mais ce travail est titanesque et malgré toute ma volonté, les choses ne vont pas toujours aussi vite qu’on le souhaiterait.
Doctissimo : Quelles sont les suites opératoires immédiates ?
Dr Pierre Foldès : L’hospitalisation ne dure qu’une journée. Il n’y a eu aucun cas de complications graves. Les activités physiques doivent être limitées dans les semaines suivant l’opération. Les douleurs post-opératoires peuvent durer une à deux semaines mais sont aisément contrôlables grâce à des médicaments antalgiques. Ce qui permet ainsi d’opérer ces femmes majeures sans que leur entourage soit forcément au courant de leur démarche. Et c’est souvent le cas.
Afrik : Comment réagissent les maris de ces femmes ? Pierre Foldès : En France, les hommes réagissent vraiment bien en général. Certains viennent même me voir avec leurs femmes. Il y a une réelle évolution des mentalités sur ce sujet, notamment grâce à l’immersion culturelle différente. Mais en Afrique, les choses bougent plus lentement. L’excision reste encore un moyen de domination masculin.
Afrik : Vous opérez gratuitement. Pourquoi ? Pierre Foldès : La plupart des femmes que j’opère n’ont pas de couverture sociale. Et comme la législation stipule que l’excision est un crime, je ne voulais pas gagner de l’argent en réparant le clitoris des femmes excisées. Mais je ne pense pas que vais pouvoir continuer comme cela longtemps. Avant, le nombre d’opérations oscillait entre une et deux par semaine et je pouvais les offrir. Mais leur nombre s’accroît et je commence à perdre de l’argent. Eventuellement, je demanderai une somme symbolique aux femmes qui ont une couverture sociale.
Afrik : Cela fait 25 ans que vous pratiquez cette opération. Pourquoi n’est elle médiatisée que maintenant ? Pierre Foldès : J’opérais discrètement par crainte des menaces. J’ai reçu plusieurs menaces de mort en Afrique. Et les Africaines qui venaient me consulter étaient exposées aux mêmes dangers. Mais certaines de celles qui ont été opérées ont témoigné de leur expérience dans les médias et m’ont dit qu’il fallait en parler. Depuis, j’ai fait plusieurs interviews pour des journaux et fait plusieurs interventions radio et télé.
Afrik : Avez-vous une idée de l’identité de ceux qui vous en veulent ? Pierre Foldès : Avec la récente médiatisation de cette opération de chirurgie réparatrice, j’ai déjà reçu d’autres menaces de mort ces derniers jours. Elles proviennent de ceux qui considèrent que je vais à l’encontre de leur culture. Mais je pense qu’elles sont surtout l’oeuvre de ceux qui ont un intérêt à ce que cette pratique perdure. Il faut savoir qu’en France le prix d’une excision peut atteindre 1 000 euros. En Afrique, il oscille entre 70 et 1 000 euros. Il y a donc beaucoup d’argent en jeu.
Afrik : Avez-vous déjà songé à arrêter cette opération à cause des dangers qui pèsent sur vous ? Pierre Foldès : Non. Par contre, ce type de menaces pourrait décourager d’autres médecins, africains comme français, de pratiquer cette intervention. J’ai commencé à en former il y a quelques mois en France. En général, c’est moi qui me déplace et qui pratique l’intervention devant eux. Mais pour l’instant, je suis le seul qui pratique l’opération officiellement. Je compte sur la médiatisation de cette opération pour rallier d’autres collègues à ma cause. Pour l’instant, certains soutiennent ce que je fais, mais à condition que ce soit moi qui prenne les risques.

Doctissimo : Des confrères urologues ont-ils pris le relais de votre action ?
Dr Pierre Foldès : Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne se bousculent pas au portillon. Actuellement, seuls deux centres hospitaliers pratiquent en France ces opérations mais dans un nombre très limité. Cette situation s’explique principalement par deux phénomènes. D’une part, j’opère gratuitement ces femmes et certains de mes confrères chirurgiens plasticiens ont peu l’habitude de travailler bénévolement et préfèrent grandement m’envoyer leurs patientes. D’autre part, j’ai personnellement reçu des menaces qui peuvent refroidir mes collègues. Personnellement, je préfère les ignorer et me consacrer pleinement à soigner ces femmes qui souffrent dans leur chair et leur identité féminine. Par ailleurs, le combat ne saurait se limiter à notre pays, ainsi j’ai formé quatre confrères africains qui exercent au Sénégal et en Egypte.
Afrik : Avez-vous des retours des associations luttant contre l’excision ? Pierre Foldès : Je n’ai pas eu de retour d’Afrique, mais je travaille en France étroitement avec le Gams (Groupe Femmes pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles), qui se réjouit de cette chirurgie réparatrice. J’ai également eu des retours positifs d’autres associations.

Le Docteur Foldès exerce à :
Clinique Louis XIV 4, Place Louis XIV 78100 Saint Germain-en-Laye
Tél. : 01 39 10 26 26

Propos recueillis par Habibou Bangré le 13 janvier 2004 pour afrik.com, et David Bême, le 12 avril 2005 pour doctissimo.com.
[1] Foldès, Pierre (2004) afrik.com.



Notes

On considère qu’environ 130 millions de femmes ont subi une excision (principalement en Afrique). Environ 2 millions de fillettes sont susceptibles de subir une telle mutilation tous les ans.

Les pratiques d'excision sont considérées comme traditionnelles dans la mesure où elles se sont installées dans un contexte animiste ou pharaonique (c’est-à-dire bien avant l'arrivée des grandes religions monothéistes dans ces contrées). D'autre part, l'excision fait souvent office de rite de passage et de reconnaissance de la petite fille dans sa société.

L’excision est actuellement défendue au nom de :
- la préservation de la virginité (considérée comme un idéal féminin au mariage),
- l’amélioration du plaisir sexuel masculin (par le rétrécissement du vagin ou de l’orifice vaginal)
- la protection contre le désir féminin (considéré comme malsain par les partisans de l’excision ou non contrôlable en cas d'absence d'excision),
- raisons hygiéniques,
- raisons esthétiques,
- patrimoine culturel ou traditionnel (initiation à l’état de femme, peur que le clitoris n'empoisonne l'homme ou l'enfant à la naissance...).
Dans de nombreux cas, on observe que les mères participent activement aux mutilations de leur(s) fille(s) dans le but d’améliorer leurs chances de faire un "bon" mariage.
Le clitoris est souvent considéré comme une imperfection de la création divine, un résidu masculin devant être ôté pour que la femme soit finie. De la même manière la circoncision ou ablation du prépuce est censée enlever à l'homme la partie féminine restante. La psychanalyste Marie Bonaparte a écrit[3] : « Les hommes se sentent menacés par ce qui aurait une apparence phallique chez la femme, c'est pourquoi ils insistent pour que le clitoris soit enlevé ».

En France, l’excision constitue une atteinte à la personne. Elle entre dans le cadre des violences ayant entraînées une mutilation permanente, délit passible de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende dans le cas général. Lorsque la victime est mineure de 15 ans, cela devient un crime passible de 15 ans de reclusion criminelle, 20 ans si le coupable est un ascendant légitime (Art 222-9 et 222-10 du Code pénal). Une interdiction du territoire d’une durée de cinq ans peut également être prononcée (Art. 222-47 du Code pénal).
Cependant, souvent l'excision est pratiquée lors d'un retour au pays et donc hors du territoire national. La législation française fait cependant obligation aux soignants de dénoncer toutes agressions sexuelles sur mineur. Les médecins sont tenus au signalement des cas (même potentiels) de mutilation génitales féminines, même si ces derniers sont ou devraient être effectués hors du territoire français.

Selon l'UNICEF, 28 pays d’Afrique et du Moyen-Orient pratiquent l'excision parmi lesquels le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, l'Éthiopie, la Gambie, le Ghana, la Guinée Bissau, la Guinée, le Kenya, la Liberia, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, l'Ouganda, la République centrafricaine, le Sénégal, la Sierra Leone, le Soudan, la Somalie, la Tanzanie, le Togo, le Tchad...

La lutte contre l’excision fait partie des grands programmes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Unicef. Cette dernière a même fait du 8 février 2006 la « Journée internationale de tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines ».
De nombreux traités internationaux évoquent également l'interdiction de l'excision et des mutilation sexuelles féminines en général : il s’agit notamment :
de la convention sur les droits de l’enfant (CDE),
de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (CEDEF),
de la charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant,
de la charte africaine sur les droits humains et ceux des populations,
du protocole additionnel sur les droits des femmes dit protocole de Maputo.
En 2002, lors d’une Assemblée générale des Nations unies, la totalité des représentants se sont engagés à mettre fin aux mutilations sexuelles et à l’excision d’ici à 2010. Cette date est plutôt ambitieuse, malgré les récentes annonces (novembre 2005) faites en Afrique, où plusieurs exciseuses ont déposé leurs instruments (des lames et des couteaux, parfois rouillés).

Pour agir: Le GAMS http://perso.orange.fr/..associationgams/

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