dimanche 16 septembre 2007

The Good Body

Eve Ensler nait dans une famille affluente de l’Upper East Side à New York. A l’adolescence, elle est violée par son père, le président d’une grande entreprise, ce qui la fait se renfermer sur elle-même et quitter la ville pour une université d’art du Vermont, où elle commence à trouver sa voix/e. Après l’université, elle revient à New York où elle devient serveuse et tombe dans l’alcool. Elle rencontre alors Richard McDermott, un barman qui l’aidera à s’en sortir et dont elle adoptera le fils, Dylan. Ils se marient et il la soutient dans ses projets théâtraux. La carrière d’Eve démarre vraiment avec Les Monologues du Vagin, actuellement traduit en vingt-huit langues et dont un demi million d’exemplaires a été vendu à ce jour dans le monde. Elle fonde V-Day en 1998, un mouvement international dont le but est de mettre fin à la violence contre les femmes. (www.vday.org)
Elle et Richard McDermott divorcent, mais Eve rencontre l’artiste Ariel Orr Jordan, elle aussi une survivante d’abus sexuels.
Depuis sa création, V-Day a récolté $14 million grâce aux productions des Monologues à travers les Etats-Unis, notamment sur des campus universitaires. Les Monologues ont été joué dans plus de 40 pays.




Au milieu de la guerre en Irak, au moment où le terrorisme mondial ne cesse de s’étendre, où les libertés civiles disparaissent aussi rapidement que la couche d’ozone, alors qu’une femme sur trois dans le monde sera battue ou violée dans sa vie, pourquoi écrire une pièce sur mon ventre ?
Peut-être parce que mon ventre est la seule chose que je peux contrôler, ou plutôt parce que j’ai espéré pouvoir un jour contrôler mon ventre. Peut-être parce que je me rends compte de l’attention que me prend mon ventre, et de l’attention que d’autres femmes portent à leur ventre ou à leurs fesses ou à leurs cheveux ou à leur peau, de telle sorte qu’il nous reste bien peu d’attention pour la guerre en Iraq – ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. On a récemment demandé à un groupe ethniquement diversifié de femmes défavorisées ce qu’elles changeraient dans leurs vies si elles pouvaient changer une seule chose : la majorité a répondu qu’elles choisiraient de perdre du poids.
Peut-être que je m’identifie à ces femmes parce que j’ai en tête l’idée que si mon ventre était plat, alors tout irait bien. Je serais protégée, acceptée, admirée, aimée. Peut-être parce que pendant presque toute ma vie je me suis sentie sale, coupable, mauvaise, en faute, et que mon ventre est le porteur, le sac de toute cette haine envers moi-même. Peut-être parce que mon ventre est devenu le dépositaire de ma tristesse, de mes malheurs d’enfant, de mes ambitions frustrées, de ma rage inexprimée. C’est une décharge toxique, l’endroit où les trajectoires explosives se rencontrent – l’impératif judéo-chrétien d’être bon ; l’exigence patriarcale qui veut que les femmes soient silencieuses, soient moins ; les demandes du consumérisme selon lesquels on doit être mieux, ce qui implique que nous sommes nés mauvais, et que pour s’améliorer on doit toujours dépenser de l’argent, beaucoup d’argent. […]
Je suis ma propre victime et mon propre bourreau. Bien sûr, les outils de ma propre victimisation sont largement mis à ma disposition. Les plans du corps parfait ont été programmés en moi depuis la naissance. Mais quelles que soient les exigences et pressions culturelles, ma préoccupation autour de mon ventre, mon régime permanent, mon inquiétude me sont imposés par moi-même. J’achète les magazines, je soupire d’envie. Je me convaincs que les filles blondes et plates ont tout compris à la vie. Notre zèle à nous auti-mutiler qui s’étend et infecte le monde devient plus inquiétant que notre narcissisme.
J’ai visité plus de quarante pays en six ans. J’ai vu sévir des empoisonnements insidieux ; des crèmes pour éclaircir la peau qui se vendent comme de la pâte dentifrice en Afrique et en Asie. Des mères qui font enlever les côtes flottantes de leurs filles de huit ans aux Etats-Unis, pour qu’elles n’aient pas à faire de régime. Des enfants de cinq ans à Manhattan qui suivent des asanas[2] très stricts pour que leurs parents n’aient pas honte de leurs courbes. Des filles qui se font vomir et et qui s’affament en Chine, à Fiji et partout. Des Coréennes qui enlèvent l’Asie de leurs paupières[3]… la liste continue. […] J’ai parlé à des femmes dans des cliniques de Berverly Hills, sur les plages sensuelles de Rio de Janeiro, dans des clubs de gym à Mumbai, New York, Moscou, dans des instituts de beauté bondés d’Istanbul, d’Afrique du Sud et de Rome. A part de très rares exceptions, les femmes que j’ai rencontrées haïssaient au moins une partie de leur corps. Il y avait quasiment toujours une partie qu’elles voulaient changer, pour laquelle elles gardaient une armoire pleine de produits destinés à la transformer, la réduire, la cacher, la redresser ou l’éclaircir. Et toutes ces femmes étaient persuadées que si elles pouvaient juste surmonter ce problème-là , tout le reste de leur vie coulerait de source. […]


[1] Ensler, Eve (2001) The Good Body, William Heinemann, London, 96 p.
[2] Positions de yoga
[3] De nombreuses femmes asiatiques se font chirurgicalement creuser une ‘double paupière’ pour avoir l’air plus occidental. C’est à peine perceptible.


"Ne leur donne pas à manger, chéri."

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