[1] (c'est un un homme qui écrit...)
C’a été un soulagement de me rendre compte, à l’adolescence, que les féministes élaboraient une critique de la « romance ». Je percevais la façon dont le mythe romantique de la relation hétéromonogame se positionnait pour bousiller le cerveau des femmes ; il créait une motivation culturelle à entrer dans les liens du mariage, il plaçait les femmes dans un rôle subordonné, définissait la valeur des femmes uniquement selon leurs talents à trouver et à maintenir une relation, leur lavait le cerveau pour les pousser à passer tout leur temps à se mesurer aux normes en vigueur et à travailler pour modifier leurs corps, leurs comportements et leurs activités pour atteindre les exigences de la « beauté ».
Je considère que ce mythe est à la fois dangereux personnellement (en créant des attentes irréalistes de nous-mêmes et des autres et en faisant vivre tout le monde dans une atmosphère d’insécurité) et politiquement, parce que c’est une distraction gigantesque qui nous divise (surtout quand on pense au stéréotype auto-réalisant de la compétition entre femmes). […] Il est important d’avoir une critique du mythe romantique qui examine son impact dans nos vies, la façon dont il sert les arrangements sociaux, et est codifié dans les lois, elles-mêmes écrites pour subordonner les femmes et les maintenir à l’état de cheptel.
Je pense aussi à ce mythe en termes capitalistes, dans le sens où le capitalisme nous pousse toujours vers la perfection, créant des concepts sur la façon réelle d’être un homme ou une femme – ou une mère, ou une copine, ou quoi que ce soit – que les gens ne peuvent égaler. Le but est que nous ne cessions de nous efforcer – en achetant des choses – à combler l’immense gouffre d’insécurité ainsi créé. On ne peut jamais être trop riche ou trop mince (avidité) ou assez riche et assez mince (insécurité). Le capitalisme est fondé sur une notion de rareté, de manque qui encourage les gens à penser qu’ils n’en ont jamais assez et à agir par avidité pour accumuler des objets. Le mythe de la romance lui-même est fondé sur le manque : Il n’y a qu’une seule personne pour vous ! Vous devez trouver quelqu’un à épouser avant d’être trop vieux ! […] Et chaque personne n’a qu’une certaine somme d’attention ou d’amour ou d’interêt à donner, et si cette personne partage, sA/son partenaire est perdantE. Ce n’est pas une règle qu’on applique à d’autres relations ; on n’imagine pas que l’on a assez d’amour pour un enfant et pas deux, pour unE amiE et pas deux… Nous appliquons cette règle à l’amour et nous internalisons très profondément ce sentiment de manque.
Et cela est pour moi un point central. Je connais plein de gens très sympas qui montrent leurs plus mauvais côtés, leurs pires comportements à leurs amoureuxSES. Avec cette personne, ils seront dépendants, geignards, ou dominateurRICE, possessifVEs, jalouxSES, cruelLEs, non respectueuxSES ou inconscientEs. J’ai remarqué cette tendance en moi-même. C’est logique. Il y a tellement d’insécurité autour du mythe romantique, et de honte autour de la sexualité dans nos cultures que nous devenons des monstres dans nos relations amoureuses. Je vois des gens qui balancent tout en faveur de leur relation – ils laissent tomber leurs amiEs, ils mettent tous leurs œufs (émotionnels) dans le même panier et créent des dynamiques malsaines avec leurs amantEs à cause de cela. Cette relation devient simultanément la plus importante et celle dans laquelle ils lâchent le plus les rênes à leurs complexes.
Un des mes buts quand je cherche à redéfinir mes relations est d’essayer de traiter mes amants comme je traite mes amis – de faire preuve de respect et d’attentions, d’avoir des limites et des attentes raisonnables – et de traiter mes amis comme je traite mes amants – leur accorder une attention spéciale, d’honorer mes engagements à leur égard, d’être constant et de m’investir totalement dans nos vies futures.
[…]
Tout ce que j’écris ici revient en fait à définir l’essence de l’amour envers autrui. S’agit-il de possession, du fait de se sentir en sécurité à travers eux, qu’ils/elles satisfassent tous nos désirs, tous nos besoins, de pouvoir leur faire tout ce qu’on veut sans qu’ils ne s’en aillent jamais ? J’espère que non. Ce que j’espère de l’amour, qu’il soit platonique, romantique, familial ou communautaire, c’est le souhait sincère qu’une autre personne puisse avoir ce dont elle a besoin pour être épanouie, complète, pour se développer au mieux de sa capacité à ressentir la joie, ou la réalisation d’elle-même qu’elle désire.
[…]
Parfois, quand je suis dans le métro, je regarde les gens et essaie de deviner ce à quoi ils ressemblent vus par les yeux de quelqu’un qui les aime. Je pense que tout le monde a connu quelqu’un qui les a regardé comme ça, que ce soit unE amantE, un parent, unE amiE, qu’ils/elles le sachent ou non. C’est quelque chose d’extraordinaire, de regarder quelqu’un qui ne m’attirera jamais et de penser à ce que ressent quelqu’un qui dévore chaque partie de leur image, qui a des fils invisibles reliés à leur propre corps. Je trouve que ce passe-temps m’aide à cultiver la compassion. J’aime penser aux gens ainsi et utiliser une partie de mon cerveau qui n’est traditionnellement réservée qu’à une petite partie des gens que je rencontrerai dans ma vie pour apprécier un plus grand public. J’aimerais être capable de penser à plus de gens de cette manière-là. Je pense que c’est l’inverse de ce que notre culture nous apprend. Nous préférons disséquer les gens pour trouver leurs défauts. Le fait de cultiver des sentiments d’appréciation et d’amour envers des gens choisis au hasard, voire même envers des gens que je n’aime pas fait de moi quelqu’un de plus généreux, de plus appréciatif envers moi-même et les gens que j’aime. C’est aussi un excellent hobby.
[1] Dean Spade in Berger, Melody (Ed.) (2006) We Don't Need Another Wave: Dispatches from the Next Generation of Feminists, Seal, Emeryville.
C’a été un soulagement de me rendre compte, à l’adolescence, que les féministes élaboraient une critique de la « romance ». Je percevais la façon dont le mythe romantique de la relation hétéromonogame se positionnait pour bousiller le cerveau des femmes ; il créait une motivation culturelle à entrer dans les liens du mariage, il plaçait les femmes dans un rôle subordonné, définissait la valeur des femmes uniquement selon leurs talents à trouver et à maintenir une relation, leur lavait le cerveau pour les pousser à passer tout leur temps à se mesurer aux normes en vigueur et à travailler pour modifier leurs corps, leurs comportements et leurs activités pour atteindre les exigences de la « beauté ».
Je considère que ce mythe est à la fois dangereux personnellement (en créant des attentes irréalistes de nous-mêmes et des autres et en faisant vivre tout le monde dans une atmosphère d’insécurité) et politiquement, parce que c’est une distraction gigantesque qui nous divise (surtout quand on pense au stéréotype auto-réalisant de la compétition entre femmes). […] Il est important d’avoir une critique du mythe romantique qui examine son impact dans nos vies, la façon dont il sert les arrangements sociaux, et est codifié dans les lois, elles-mêmes écrites pour subordonner les femmes et les maintenir à l’état de cheptel.
Je pense aussi à ce mythe en termes capitalistes, dans le sens où le capitalisme nous pousse toujours vers la perfection, créant des concepts sur la façon réelle d’être un homme ou une femme – ou une mère, ou une copine, ou quoi que ce soit – que les gens ne peuvent égaler. Le but est que nous ne cessions de nous efforcer – en achetant des choses – à combler l’immense gouffre d’insécurité ainsi créé. On ne peut jamais être trop riche ou trop mince (avidité) ou assez riche et assez mince (insécurité). Le capitalisme est fondé sur une notion de rareté, de manque qui encourage les gens à penser qu’ils n’en ont jamais assez et à agir par avidité pour accumuler des objets. Le mythe de la romance lui-même est fondé sur le manque : Il n’y a qu’une seule personne pour vous ! Vous devez trouver quelqu’un à épouser avant d’être trop vieux ! […] Et chaque personne n’a qu’une certaine somme d’attention ou d’amour ou d’interêt à donner, et si cette personne partage, sA/son partenaire est perdantE. Ce n’est pas une règle qu’on applique à d’autres relations ; on n’imagine pas que l’on a assez d’amour pour un enfant et pas deux, pour unE amiE et pas deux… Nous appliquons cette règle à l’amour et nous internalisons très profondément ce sentiment de manque.
Et cela est pour moi un point central. Je connais plein de gens très sympas qui montrent leurs plus mauvais côtés, leurs pires comportements à leurs amoureuxSES. Avec cette personne, ils seront dépendants, geignards, ou dominateurRICE, possessifVEs, jalouxSES, cruelLEs, non respectueuxSES ou inconscientEs. J’ai remarqué cette tendance en moi-même. C’est logique. Il y a tellement d’insécurité autour du mythe romantique, et de honte autour de la sexualité dans nos cultures que nous devenons des monstres dans nos relations amoureuses. Je vois des gens qui balancent tout en faveur de leur relation – ils laissent tomber leurs amiEs, ils mettent tous leurs œufs (émotionnels) dans le même panier et créent des dynamiques malsaines avec leurs amantEs à cause de cela. Cette relation devient simultanément la plus importante et celle dans laquelle ils lâchent le plus les rênes à leurs complexes.
Un des mes buts quand je cherche à redéfinir mes relations est d’essayer de traiter mes amants comme je traite mes amis – de faire preuve de respect et d’attentions, d’avoir des limites et des attentes raisonnables – et de traiter mes amis comme je traite mes amants – leur accorder une attention spéciale, d’honorer mes engagements à leur égard, d’être constant et de m’investir totalement dans nos vies futures.
[…]
Tout ce que j’écris ici revient en fait à définir l’essence de l’amour envers autrui. S’agit-il de possession, du fait de se sentir en sécurité à travers eux, qu’ils/elles satisfassent tous nos désirs, tous nos besoins, de pouvoir leur faire tout ce qu’on veut sans qu’ils ne s’en aillent jamais ? J’espère que non. Ce que j’espère de l’amour, qu’il soit platonique, romantique, familial ou communautaire, c’est le souhait sincère qu’une autre personne puisse avoir ce dont elle a besoin pour être épanouie, complète, pour se développer au mieux de sa capacité à ressentir la joie, ou la réalisation d’elle-même qu’elle désire.
[…]
Parfois, quand je suis dans le métro, je regarde les gens et essaie de deviner ce à quoi ils ressemblent vus par les yeux de quelqu’un qui les aime. Je pense que tout le monde a connu quelqu’un qui les a regardé comme ça, que ce soit unE amantE, un parent, unE amiE, qu’ils/elles le sachent ou non. C’est quelque chose d’extraordinaire, de regarder quelqu’un qui ne m’attirera jamais et de penser à ce que ressent quelqu’un qui dévore chaque partie de leur image, qui a des fils invisibles reliés à leur propre corps. Je trouve que ce passe-temps m’aide à cultiver la compassion. J’aime penser aux gens ainsi et utiliser une partie de mon cerveau qui n’est traditionnellement réservée qu’à une petite partie des gens que je rencontrerai dans ma vie pour apprécier un plus grand public. J’aimerais être capable de penser à plus de gens de cette manière-là. Je pense que c’est l’inverse de ce que notre culture nous apprend. Nous préférons disséquer les gens pour trouver leurs défauts. Le fait de cultiver des sentiments d’appréciation et d’amour envers des gens choisis au hasard, voire même envers des gens que je n’aime pas fait de moi quelqu’un de plus généreux, de plus appréciatif envers moi-même et les gens que j’aime. C’est aussi un excellent hobby.
[1] Dean Spade in Berger, Melody (Ed.) (2006) We Don't Need Another Wave: Dispatches from the Next Generation of Feminists, Seal, Emeryville.
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