dimanche 16 septembre 2007

Même les cowgirls ont du vâgue à l’âme





Tom Robbins, auteur de Même les cow-girls ont du vague à l’âme a été qualifié d'“écrivain le plus sauvage et le plus entraînant de cette terre” par le Financial Time de Londres. Thomas Pynchon a écrit : “Tom Robbins a une vision des choses qui éblouit l’esprit. C’est un conteur de toute première catégorie.” Le Corriere della Sera enfin le considère tout simplement comme: "l’écrivain le plus dangereux du monde”.“Père de la culture pop”, “écrivain culte par excellence”, ou encore “Houdini de la métaphore”, les qualificatifs concernant Tom Robbins ne manquent pas. Son œuvre est célébrée aux États-Unis, en Asie et dans la plupart des pays européens. Il est en outre une référence absolue dans le monde mystérieux des “hackers”. Editions du Cherche Midi









«Il n’y a pas de mais. Spirituellement, je suis un homme riche. De par mon héritage asiatique, j’ai hérité d’une certaine aisance spirituelle. Mais – et toi et Debbie et les pélerins et les soi-disant pélerins doivent le comprendre – je ne peux pas partager cette richesse ! Pourquoi ? Parce que la monnaie spirituelle asiatique n’est tout simplement pas échangeable dans votre culture occidentale. Ce serait comme envoyer des dollars à des Pygmées. Tu ne peux pas dépenser de dollars dans la jungle africaine. La meilleure utilisation que les Pygmées pourraient tirer des billets serait d’allumer des feux avec. Dans tout l’Occident, je vois des gens entassés autour de petits feux à se réchauffer avec du bouddhisme, du taoïsme, de l’hindouïsme et du Zen. Et c’est là le maximum qu’ils pourront en tirer. Se réchauffer les pieds et les mains. Ils ne peuvent pas s’approprier véritablement l’hindouïsme – ils ne sont pas hindous. Ils ne peuvent pas réellement s’approprier le Tao – ils ne sont pas chinois. Le zen les lâchera au bout d’un moment – son feu s’éteindra – puisqu’ils ne sont pas japonais comme moi. Le fait de se tourner vers des philosphies religieuses asiatiques pourra temporairement illuminer leurs vies, mais dans le fond c’est futile, parce qu’ils nient leur propre histoire, ils mentent sur leur héritage. Tu peux accrocher un arc-en-ciel à un faux arc-en-ciel – c’est ce que fait Jellybean – mais tu ne peux pas accrocher un arc-en-ciel à un mensonge.
Vous autres Occidentaux, vous êtes spirituellement pauvres. Vos philosophies religieuses sont appauvries. Et alors ? Elles se sont probablement appauvries pour de très bonnes raisons.


L'homme vert


Le dieu Pan


Pourquoi ne pas apprendre cette raison ? C’est certainement plus intéressant que de se raser le caillou et de s’envelopper dans les chapelets et les costumes de traditions que vous ne comprendrez jamais qu’à moitié. Admettez donc, en premier lieu, votre pauvreté spirituelle. Confessez-la. C’est le point de départ. Si vous n’avez pas le courage de commencer là, entièrement nu dans votre pauvreté et sans honte, vous ne trouverez jamais la sortie de l’ornière. Et des parures orientales empruntées ne couvriront pas votre mensonge ; ils ne feront que vous rendre plus seul.
- Mais que peut faire un Occidental, alors, dans sa pauvreté ?
- L’endurer. L’endurer avec candeur, humour et grâce.
- Tu dis que c’est foutu, alors ?
- Non. J’ai déjà suggéré que la désolation spirituelle de l’Occident a probablement un sens, et qu’il pourrait être avantageux d’explorer ce sens. Un occidental recherchant une connaissance plus haute, plus profonde pourrait commencer à creuser dans l’histoire religieuse de son peuple. Ce n’est pas facile, cependant, parce que le christianisme bloque les voies d’accès comme une montagne sur roues.
- Je ne comprends pas. Je pensais que le christianisme était notre héritage spirituel. Comment peut-il bloquer… ?
- Oh, Sissy, tu commences à m’ennuyer. Le christianisme, petite niaise, est une religion orientale. Il y a de grandes vérités dans ses enseignements, tout comme il y en a dans le bouddhisme et l’hindouïsme, des vérités universelles, c'est-à-dire qui parlent aux cœurs et esprits des gens partout dans le monde. Mais le christianisme vient d’Orient, ses origines sont hautement suspectes, et son dogme était déjà vastement perverti au moment où il a posé un pied en Occident. Tu penses donc qu’il n’y avait pas de divinité en Occident avant le dieu oriental étranger Jehovah ? C’est faux. Les peuples d’Angleterre et d’Europe – les Anglos et les Saxons et les Latins – vénéraient une déité depuis les temps néolithiques les plus reculés.
Le cornu. L’ancien dieu. Un homme-chèvre obscène qui offrait des riches récoltes et des bébés rebondis ; un dieu poilu, joyeux qui aimait la musique et la danse et la bonne chair ; un dieu des champs et des bois et de la chair ; un dieu fécond qui pourvoyait aux besoins de ceux qui l’aimaient et qui pouvait être appelé aussi bien par la fornication que par la méditation, qui écoutait les chansons comme les prières ; un dieu aimé car il plaçait le plaisir devant l’ascétisme, parce que la jalousie et la vengeance n’étaient pas dans son caractère.

Les fêtes principales de l’ancien dieu était la nuit de Walpurgis (le 30 avril), Candlemas (le 2 février), Lammas (le 1er août) et Halloween (le 31 octobre). La fête qu’aujourd’hui vous appelez Noël était à l’origine une orgie pour l’ancien dieu (toutes les sources historiques s’accordent à dire que Jésus est né en juillet). Ces fêtes furent célébrées pendant des milliers d’années. Et l’adoration du dieu ancien, souvent déguisé en homme vert ou Robin Longfellow continua subrepticement bien après que la chrétienté a refermé sa prise glaciale sur l’occident. Mais rien n’est plus sournois que les pouvoirs chrétiens.


Lucifer

L’église se fixa de transformer l’image de Lucifer, dont le vieux testament nous dit qu’il était un ange de lumière, le premier lieutenant de dieu. L’église commença à nous apprendre que Lucifer avait des cornes et les sabots des boucs libidineux. En d’autres termes, les chefs de la conquête chrétienne eurent la ruse de donner à Lucifer les aspects physiques – et autres – de l’ancien dieu. Ils transformèrent l’ancien dieu en diable. Ceci est la plus cruelle calomnie, la plus scandaleuse diffamation, la distortion la plus vicieuse de l’histoire de l’humanité. Le président des Etats-Unis est un bouffon de carnaval comparé aux premiers papes.
- Si je – si nous les Occidentaux allons creuser notre héritage, qu’y trouverions-nous ? Quelque chose de précieux ? Quelque chose d’aussi riche que votre héritage oriental ? Qu’y trouverions-nous?
- Tu y trouverais des femmes, Sissy. Et des plantes. Des femmes et des plantes. Souvent en combinaison.

Les plantes sont puissantes et renferment bien des secrets. Nos vies sont liées au monde végétal bien plus étroitement qu’aucun de nous ne peut l’imaginer. L’ancienne religion reconnaissait les supériorités subtiles de la vie végérale. Elle essayait de comprendre ce qui poussait et de leur offrir leur dû, leur respect.

Un des ordres les plus développés de l’ancienne religion, le druidisme prend son nom de druuid, un mot d’ancien gaélique dont la première syllabe veut dire « chêne » et la seconde « celui/celle qui a la connaissance ». Un druide est donc quelqu’un qui connaît les chênes – et le gui soi-disant empoisonné qui pousse dessus et qui était sacré pour les druides.
Dans les temps anciens, chaque village avait au moins une femme sage, une sorcière. Ces femmes étaient de véritables expertes en botanique. Elles connaissaient intimement ls champignons et les herbes. Elles utilisaient les plantes pour guérir le corps et libérer l’esprit. Ces femmes étaient des guérisseuses, des nourricières, bien sûr. On utilise encore certains de leurs remèdes comme la digitaline (FOXGLOVE) et l’atropine qui vient de la belladonne aujourd’hui.
Oui, si tu grattes au-delà de la conquête chrétienne pour retrouver ton véritable héritage, tu trouveras des femmes qui faisaient des choses extraordinaires. Elles n’étaient pas seulement les servantes principales de l’ancien dieu, mais aussi ses maîtresses, le vrai pouvoir derrière son trône en citrouille. Les femmes contrôlaient l’ancienne religion. Elle avait peu de prêtres, mais beaucoup de prêtresses. Il n’y avait pas de dogme, chaque prêtresse interprétait la religion à sa manière. La Mère – créatrice et destructrice – instruisait l’ancien dieu, elle était sa mère, sa femme, sa fille, sa sœur, son égale et son partenaire extatique dans leur sexe continuel.
Si tu peux regarder au-delà de la chrétienté, tu trouveras des légions de sages-femmes, de déesses, de sorcières et de grâces. Tu trouveras des bergères, des accoucheuses, des protectrices de la vie. Tu trouveras des danseuses, nues ou en habits de fougère. Tu trouveras des femmes comme les femmes de Gaulle, grandes, splendides, nobles, arbitres de leur propre peuple, maîtresses de leurs enfants, prêtresses de la nature, les reines-guerrières celtiques. Tu trouveras les matriarches tolérantes de la Rome païenne – quel contraste avec César et les papes ! Tu trouveras les femmes druides, fines astronomes et mathématiciennes qui créerent Stonhenge, le premier mécanisme top-cool à marquer le temps qui fonctionne pile-poil, sans compèt’. (the premium acme apex top-banana clockworks of its era, bar none. !!!!)




Il y a plein de trésors dans votre Antiquité, si vous arrivez à les atteindre. Leur comparaison avec les miens est une autre histoire. Peut-être que les manques des vôtres se situent dans le rayon de la lumière. Bouddha, Rama et Lao Tseu ont apporté de la lumière à ce monde. Jésus Christ était aussi une manifestation vivante de lumière, bien qu’au moment où ses enseignements furent exportés vers l’ouest, saint Paul avait déjà taillé la mèche, et le rayon Jésus s’estompa de plus en plus.






Il s’éteignit totalement au 4ème siècle. La chrétienté n’a plus aucune chaleur à donner – et elle n’a de toute façon jamais été très chaleureuse. En revanche, l’ancienne religion était profondément chaleureuse. Il ne lui manquait certainement pas de chaleur. Mais c’était une chaleur qui ne produisait que peu de lumière. Elle réchauffait chaque poil de mammifère, chaque cellule du système reproducteur, mais elle n’allumait pas cette ampoule General Electric dorée qui pend tout en haut du dôme le plus élevé de notre âme. Il y avait suffisamment de pure énergie sensuelle dans l’ancienne religion pour conduire tous ses partisans vers l’illumination si cela avait été son but. Malheureusement, elle fut renversée et vidée par la chrétienté avant de pouvoir transformer sa chaleur en lumière. Peut-être est-ce cette trajectoire qui doit être complétée, le but logique de l’homme occidental. En tant qu’individus, bien sûr, pas en tant que groupes organisés. Et les États-Unis d’Amérique est le l’endroit logique de reconstruction des feux du paganisme et de transformation en lumière. Peut-être. Il se pourrait que j’aie tort. Mais je peux dire sans me tromper qu’il y a de nombreux trésors à trouver dans l’antiquité si tu y arrives. »
« Mais on ne peut pas revenir en arrière », dit Sissy. « Nous ne pouvons pas vivre tournés vers le passé. »
« Non, vous ne pouvez pas. La technologie façonne les esprits autant que les environnements, et peut-être les peuples occidentaux sont-ils trop sophistiqués, trop aliénés de la Nature de manière permanente pour utiliser réellement votre héritage païen. Cependant, des liens peuvent être établis. Renouer avec son passé, rétablir la continuité brisée de votre développement spirituel, ce n’est pas la même chose qu’une retraite romantique et sentimentale vers un mode de vie plus simple, plus rustique. Essayer de se transformer en bûcheron du fond des bois en des temps de technologie électronique est sans doute une tentative aussi malavisée que d’essayer d’être hindou quand on est anglo-saxon. Cependant, votre race a perdu beaucoup de choses précieuses sur la route du soi-disant progrès et vous devez repartir en arrière pour les récupérer. Même si ça ne sert qu’à ça, le fait de découvrir par où vous êtes passés pourra vous aider à découvrir où vous allez.
Si vous allez quelque part. Ha ha ha ho ho and he he he.»


[1] Robbins, T. (1990) Even Cowgirls Get The Blues, Bantam, New York, 384 p.

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