Female Chauvinist Pigs[1], ou les femmes machos[2]
Ariel Levy a grandi à Larchmont, New York. Elle a étudié la littérature américaine et la critique théorique à l’université de Wesleyan. Elle a travaillé brièvement pour le Planning Familial, mais a été virée au bout d’une semaine parce qu’elle ne savait pas dactylographier. Elle a été engagée tout de suite après par New York magazine. En tant que secrétaire. Et elle tape depuis. Son travail est aussi paru dans le The New York Times, The Washington Post, Vogue, Slate, Men's Journal et Blender magazines.
J’ai commencé à m’en rendre compte il y a quelques années. J’allumais la télévision et je tombais sur des strip-teaseuses en soutien-gorge microscopiques qui expliquaient comment faire jouir un homme avec une « lap dance[3] ». Je changeais de chaîne et c’était au tour de gamines en uniformes minuscules et moulants de sauter sur des trampolines. Britney Spears devenait de plus en plus populaire et de moins en moins habillée, et son corps ondulant finit par m’être tellement familier que j’avais l’impression que c’était une de mes ex.
Charlie’s Angels, le remake de la série Drôles de dames était numéro 1 dès sa sortie en 2000 et rapporta $125 million aux Etats-Unis, renouvelant l’interêt des hommes et des femmes pour les films d’action menés par des héroïnes aux longues jambes. Les costumes des stars du films, qui ne cessaient de parler de « femmes fortes » et de « empowerment » alternaient entre plusieurs style « soft porn » ; geishas masseuses, dominatrices, Heidi en bustiers alpins. (La suite, sortie en 2003, dont la périlleuse mission exigeait que les héroïnes fassent des strip-tease, rapporta $100 millions de plus aux Etats-Unis). Dans ma propre branche, les magazines, un nouveau genre porno appelé Lad Mag[4] venait d’apparaître, avec des titres comme Maxim, FHM, Stuff et faisait un carton en offrant ce que Playboy n’avait qu’occasionnellement réussi à capturer ; des stars huilées, sur le sol, les jambes écartées et vêtues de petits bouts de tissu.
Et le phénomène ne s’arrêtait pas quand j’éteignais la télévision, la radio ou fermais les magazines. Je voyais des adolescentes et des jeunes femmes – et occasionnellement des femmes libérées de 50 ans– avec des jeans coupés si bas qu’on voyait ce qu’il est commun d’appeler maintenant le décolleté des fesses[5] et des hauts miniatures que laissaient voir des implants mammaires et des nombrils piercés. Parfois, si le message était considéré trop subtil, les t-shirts exhibaient ‘Porn Star’ ou le lapin Playboy.
Des choses étranges arrivaient dans ma vie aussi. Des gens que je connaissais – des femmes que je connaissais- développaient un goût pour les bars de strip-tease (avec des strip- teasEUSES). C’était sexy et marrant, m’expliquèrent-elles. C’était libérateur et rebelle. Ma meilleure amie, qui participait à des marches Take Back The Night[6] quand on était à la fac était fascinée par les stars de porno. Elle me les montrait quand on regardait des clips musicaux, et elle regardait leurs interviews topless chez Howard Stern.[7] Quand à moi, je ne n’allais pas dans des clubs de strip-tease et je n’achetais pas de T-shirts Hustler, mais je commençais à accuser le coup quand même. Ca ne faisait que quelques années que j’avais quitté Wesleyan University, un endroit dont on pouvait presque être excluE pour l’utilisation de mots comme ‘fille au lieu de ‘femme, mais curieusement, j’avais commencé à dire ‘chick’[8]. Et comme la plupart des chicks que je connaissais, j’avais commencé à porter des strings.
Que se passait-il ? Ma mère, une masseuse de shiatsu qui avait participé à des groupes de consciousness raising[9] hebdomadaires pendant 24 ans ne possédait même pas de maquillage. Mon père, qu’elle avait rencontré dans les années soixante alors qu’ils étaient tous deux des étudiants engagés à l’université du Wisconsin était un consultant pour le Planning Familial, NARAL[10] et NOW[11]. Il y a seulement 30 ans, nos mères « brûlaient leurs soutien-gorge » et faisaient des sit-ins devant Playboy et voilà que tout d’un coup, on achetait des implants et des lapins Playboy comme symboles de notre liberation. Comment notre culture avait-elle changé si radicalement en si peu de temps ?
Les réponses que j’ai obtenues quand j’ai commencé à interviewer les hommes – et souvent les femmes qui publient des magazines comme Playboy et qui produisent des émissions comme The Man Show et Girls Gone Wild sont presque plus étonnantes que cette évolution. Cette nouvelle culture du raunch[12] ne sonne pas la fin du féminisme, me dirent-ils ; au contraire c’était la preuve que le projet féministe avait réussi. Nous avions gagné le droit de lire Playboy ; nous étions suffisamment ‘en contrôle’ pour nous faire faire une épilation totale. Les femmes avaient tellement obtenu de victoires, m’apprit-on, que nous n’avions plus besoin de nous soucier de misogynie et de réification. Il était enfin temps d’aller à la frat party[13] de notre culture pop, où les mecs s’amusaient déjà depuis des années. Si les hommes étaient des Cochons Machos qui regardaient les femmes comme des bouts de viande, alors nous les surpasserons et serons des Cochonnes Machos : des femmes qui transforment les autres femmes et elles-mêmes en objets sexuels.
Quand je demande aux lectrices et téléspectatrices ce qu’elles apprecient dans la culture raunch, j’entends les mêmes choses sur des mini-jupes ‘en contrôle’ et des strip-teaseuses féministes, etc, mais j’entends aussi autre chose. Elles veulent faire partie du « club » ; elles espèrent aavoir de l’expérience « comme un homme ». Aller dans des clubs de strip et parler de stars du porno, c’est montrer, à soi-même et aux hommes, que l’on est pas une fille coincée, ou trop fille. En plus, me disent-elles, tout ça, c’est pour rire, c’est deuxième degré. Le fait de prendre tout ça trop sérieusement ce n’est « pas cool », c’est « vieille école ».
J’ai essayé de suivre le programme, mais je n’ai jamais réussi à me convaincre. Comment le fait de ressusciter tous les stéréotypes de sexualité féminine dont le féminisme a essayé de se débarrasser peut-il être positif pour les femmes ? Par quel miracle élevons-nous notre statut en luttant pour ressembler à Pamela Anderson ? Et surtout, pourquoi l’imitation d’une strip-teaseuse ou d’une star du porno – des femmes dont le métier est, en premier lieu, d’imiter l’excitation sexuelle – nous libérerait-elle sexuellement ??
En dépit du pouvoir grandissant de l’église évangélique et de la droite conservatrice aux Etats-Unis, cette mode n’a cessé de grandir et de se radicaliser depuis le moment où j’en ai pris conscience. Une version putassière et de pacotille de la sexualité feminine est devenue tellement omniprésente qu’elle semble naturelle. Ce que l’on regardait autrefois comme une des expressions de la sexualité est à présent LA sexualité. Comme l’a dit l’ancienne star du X Traci Lords à un journaliste quelque jours avant que son autobiographie ne sorte en bonne place dans la liste des meilleures ventes en 2003, « Quand j’étais dans le porno, c’était une affaire qui se faisait dans des allées sordides. Maintenant, le porno est partout. » Les spectacles de femmes nues ont quitté les allées sordides et sont maintenant en centre scène où tout le monde – hommes comme femmes - peut les voir en plein jour. Playboy et les autres sont maintenant « curieusement acceptés par les jeunes femmes de ce monde post-féministe », pour emprunter les mots de Hugh Hefner.
Mais le fait que nous soyions « post » ne veut pas dire que nous sommes féministes. C’est un postulat répandu que de croire que parce que ma génération a eu la chance de grandir dans un monde touché par le féminisme, nous sommes tous magiquement porteurs de son esprit. Cela ne marche pas comme ça. « Grossièreté » et « libération » ne sont pas synonymes. Cela vaut la peine de se demander si ce monde paillard de seins et de cons que nous avons recréé reflète nos le chemin parcouru, ou celui qu’il reste à parcourir.
[1] « Male chauvinist pig » était l’insulte classique pour des hommes machos. « Chauvinist » veut dire misogyne. On pourrait approximativement traduire le titre par « Cochonnes machos »
[2] Levy, Ariel (2005) Female Chauvinist Pigs, Free Press, New York, 224 p.
[3] Lap dance : danse d’une strip-teaseuse nue ou se dénudant sur un homme habillé qui n’a pas le droit de la toucher.
[4] Lad Mag ; littéralement Magazine de Mec
[5] Butt cleavage
[6] Voir page …
[7] Hôte de radio très connu, qui demande à ses invitées d’être topless pendant les emissions.
[8]
[9] Voir page …
[10] The National Association for the Repeal of Abortion Laws
[11] NARAL, National Organization for Women
[12] Raunch : ce qui est cru, grossier.
[13] Frat Party ; Soirée de fraternité – les fraternités sont très populaires dans les universités américaines
Ariel Levy a grandi à Larchmont, New York. Elle a étudié la littérature américaine et la critique théorique à l’université de Wesleyan. Elle a travaillé brièvement pour le Planning Familial, mais a été virée au bout d’une semaine parce qu’elle ne savait pas dactylographier. Elle a été engagée tout de suite après par New York magazine. En tant que secrétaire. Et elle tape depuis. Son travail est aussi paru dans le The New York Times, The Washington Post, Vogue, Slate, Men's Journal et Blender magazines.
J’ai commencé à m’en rendre compte il y a quelques années. J’allumais la télévision et je tombais sur des strip-teaseuses en soutien-gorge microscopiques qui expliquaient comment faire jouir un homme avec une « lap dance[3] ». Je changeais de chaîne et c’était au tour de gamines en uniformes minuscules et moulants de sauter sur des trampolines. Britney Spears devenait de plus en plus populaire et de moins en moins habillée, et son corps ondulant finit par m’être tellement familier que j’avais l’impression que c’était une de mes ex.
Charlie’s Angels, le remake de la série Drôles de dames était numéro 1 dès sa sortie en 2000 et rapporta $125 million aux Etats-Unis, renouvelant l’interêt des hommes et des femmes pour les films d’action menés par des héroïnes aux longues jambes. Les costumes des stars du films, qui ne cessaient de parler de « femmes fortes » et de « empowerment » alternaient entre plusieurs style « soft porn » ; geishas masseuses, dominatrices, Heidi en bustiers alpins. (La suite, sortie en 2003, dont la périlleuse mission exigeait que les héroïnes fassent des strip-tease, rapporta $100 millions de plus aux Etats-Unis). Dans ma propre branche, les magazines, un nouveau genre porno appelé Lad Mag[4] venait d’apparaître, avec des titres comme Maxim, FHM, Stuff et faisait un carton en offrant ce que Playboy n’avait qu’occasionnellement réussi à capturer ; des stars huilées, sur le sol, les jambes écartées et vêtues de petits bouts de tissu.
Et le phénomène ne s’arrêtait pas quand j’éteignais la télévision, la radio ou fermais les magazines. Je voyais des adolescentes et des jeunes femmes – et occasionnellement des femmes libérées de 50 ans– avec des jeans coupés si bas qu’on voyait ce qu’il est commun d’appeler maintenant le décolleté des fesses[5] et des hauts miniatures que laissaient voir des implants mammaires et des nombrils piercés. Parfois, si le message était considéré trop subtil, les t-shirts exhibaient ‘Porn Star’ ou le lapin Playboy.
Des choses étranges arrivaient dans ma vie aussi. Des gens que je connaissais – des femmes que je connaissais- développaient un goût pour les bars de strip-tease (avec des strip- teasEUSES). C’était sexy et marrant, m’expliquèrent-elles. C’était libérateur et rebelle. Ma meilleure amie, qui participait à des marches Take Back The Night[6] quand on était à la fac était fascinée par les stars de porno. Elle me les montrait quand on regardait des clips musicaux, et elle regardait leurs interviews topless chez Howard Stern.[7] Quand à moi, je ne n’allais pas dans des clubs de strip-tease et je n’achetais pas de T-shirts Hustler, mais je commençais à accuser le coup quand même. Ca ne faisait que quelques années que j’avais quitté Wesleyan University, un endroit dont on pouvait presque être excluE pour l’utilisation de mots comme ‘fille au lieu de ‘femme, mais curieusement, j’avais commencé à dire ‘chick’[8]. Et comme la plupart des chicks que je connaissais, j’avais commencé à porter des strings.
Que se passait-il ? Ma mère, une masseuse de shiatsu qui avait participé à des groupes de consciousness raising[9] hebdomadaires pendant 24 ans ne possédait même pas de maquillage. Mon père, qu’elle avait rencontré dans les années soixante alors qu’ils étaient tous deux des étudiants engagés à l’université du Wisconsin était un consultant pour le Planning Familial, NARAL[10] et NOW[11]. Il y a seulement 30 ans, nos mères « brûlaient leurs soutien-gorge » et faisaient des sit-ins devant Playboy et voilà que tout d’un coup, on achetait des implants et des lapins Playboy comme symboles de notre liberation. Comment notre culture avait-elle changé si radicalement en si peu de temps ?
Les réponses que j’ai obtenues quand j’ai commencé à interviewer les hommes – et souvent les femmes qui publient des magazines comme Playboy et qui produisent des émissions comme The Man Show et Girls Gone Wild sont presque plus étonnantes que cette évolution. Cette nouvelle culture du raunch[12] ne sonne pas la fin du féminisme, me dirent-ils ; au contraire c’était la preuve que le projet féministe avait réussi. Nous avions gagné le droit de lire Playboy ; nous étions suffisamment ‘en contrôle’ pour nous faire faire une épilation totale. Les femmes avaient tellement obtenu de victoires, m’apprit-on, que nous n’avions plus besoin de nous soucier de misogynie et de réification. Il était enfin temps d’aller à la frat party[13] de notre culture pop, où les mecs s’amusaient déjà depuis des années. Si les hommes étaient des Cochons Machos qui regardaient les femmes comme des bouts de viande, alors nous les surpasserons et serons des Cochonnes Machos : des femmes qui transforment les autres femmes et elles-mêmes en objets sexuels.
Quand je demande aux lectrices et téléspectatrices ce qu’elles apprecient dans la culture raunch, j’entends les mêmes choses sur des mini-jupes ‘en contrôle’ et des strip-teaseuses féministes, etc, mais j’entends aussi autre chose. Elles veulent faire partie du « club » ; elles espèrent aavoir de l’expérience « comme un homme ». Aller dans des clubs de strip et parler de stars du porno, c’est montrer, à soi-même et aux hommes, que l’on est pas une fille coincée, ou trop fille. En plus, me disent-elles, tout ça, c’est pour rire, c’est deuxième degré. Le fait de prendre tout ça trop sérieusement ce n’est « pas cool », c’est « vieille école ».
J’ai essayé de suivre le programme, mais je n’ai jamais réussi à me convaincre. Comment le fait de ressusciter tous les stéréotypes de sexualité féminine dont le féminisme a essayé de se débarrasser peut-il être positif pour les femmes ? Par quel miracle élevons-nous notre statut en luttant pour ressembler à Pamela Anderson ? Et surtout, pourquoi l’imitation d’une strip-teaseuse ou d’une star du porno – des femmes dont le métier est, en premier lieu, d’imiter l’excitation sexuelle – nous libérerait-elle sexuellement ??
En dépit du pouvoir grandissant de l’église évangélique et de la droite conservatrice aux Etats-Unis, cette mode n’a cessé de grandir et de se radicaliser depuis le moment où j’en ai pris conscience. Une version putassière et de pacotille de la sexualité feminine est devenue tellement omniprésente qu’elle semble naturelle. Ce que l’on regardait autrefois comme une des expressions de la sexualité est à présent LA sexualité. Comme l’a dit l’ancienne star du X Traci Lords à un journaliste quelque jours avant que son autobiographie ne sorte en bonne place dans la liste des meilleures ventes en 2003, « Quand j’étais dans le porno, c’était une affaire qui se faisait dans des allées sordides. Maintenant, le porno est partout. » Les spectacles de femmes nues ont quitté les allées sordides et sont maintenant en centre scène où tout le monde – hommes comme femmes - peut les voir en plein jour. Playboy et les autres sont maintenant « curieusement acceptés par les jeunes femmes de ce monde post-féministe », pour emprunter les mots de Hugh Hefner.
Mais le fait que nous soyions « post » ne veut pas dire que nous sommes féministes. C’est un postulat répandu que de croire que parce que ma génération a eu la chance de grandir dans un monde touché par le féminisme, nous sommes tous magiquement porteurs de son esprit. Cela ne marche pas comme ça. « Grossièreté » et « libération » ne sont pas synonymes. Cela vaut la peine de se demander si ce monde paillard de seins et de cons que nous avons recréé reflète nos le chemin parcouru, ou celui qu’il reste à parcourir.
[1] « Male chauvinist pig » était l’insulte classique pour des hommes machos. « Chauvinist » veut dire misogyne. On pourrait approximativement traduire le titre par « Cochonnes machos »
[2] Levy, Ariel (2005) Female Chauvinist Pigs, Free Press, New York, 224 p.
[3] Lap dance : danse d’une strip-teaseuse nue ou se dénudant sur un homme habillé qui n’a pas le droit de la toucher.
[4] Lad Mag ; littéralement Magazine de Mec
[5] Butt cleavage
[6] Voir page …
[7] Hôte de radio très connu, qui demande à ses invitées d’être topless pendant les emissions.
[8]
[9] Voir page …
[10] The National Association for the Repeal of Abortion Laws
[11] NARAL, National Organization for Women
[12] Raunch : ce qui est cru, grossier.
[13] Frat Party ; Soirée de fraternité – les fraternités sont très populaires dans les universités américaines
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