jeudi 13 septembre 2007

Le sexisme dans la langue

La langue[1]


Mots devenant péjoratifs au féminin
Exemples de mots prenant un sens péjoratif ou sexuel au féminin :
Un gagneur (un vainqueur) / une gagneuse (une prostituée)
Un garçon / une garce
Un courtisan / une courtisane
Un masseur (un kinésithérapeute) / une masseuse (une prostituée)
Un coureur (un joggeur, un cycliste) / une coureuse
Un rouleur (un cycliste spécialiste du plat) / une rouleuse (une prostituée)
Un professionnel (un spécialiste de haut niveau) / une professionnelle (une prostituée)
Un entraîneur (d'une équipe sportive) / une entraîneuse (une prostituée)
Un homme à femmes (un séducteur) / une femme à hommes (une prostituée)
Un homme public (un homme connu) / une femme publique (une prostituée)
Un homme facile (simple à vivre) / une femme facile (une prostituée)
Un homme qui fait le trottoir (un paveur) / une femme qui fait le trottoir (une prostituée)
Un maître / une maitresse
Un homme fort / une femme forte
Un homme galant / une femme galante
Un honnête homme (un homme cultivé) / une femme honnête (une femme vertueuse)
Un homme savant est respecté / une femme savante est ridicule
Un homme léger (d’esprit) / une femme légère (de mœurs)
Un homme faible / une femme facile
Parâtre (n’existe plus) / marâtre
Compère (camarade) / commère (mauvaise langue)

Comment féminiser ?:
Docteur, ingénieur (ingénieuse est prise), professeur, un critique (une critique…), un manœuvre (une manœuvre…), un bâtonnier de l’ordre des avocats, un rapporteur du budget, un metteur en scène, un gouverneur (gouvernante = autre sens), ambassadeur, préfet, un chef (de cuisine, d’orchestre…), un couturier (opposer le prestige de couturier à la banalité d’une couturière), un financier, un chirurgien, un médecin, un écrivain, un artisan, un charlatan, un partisan, un vétéran, un témoin, un savant, un gourmet, un enquêteur, un possesseur, un précurseur, un procureur, un beau parleur, un chauffeur, un compositeur, un facteur, un auteur, un vainqueur, un bourreau, un tyran, un plombier, un découvreur, un bon vivant, un amateur, un mentor, un officier, sauveteur...


Un des vrais problèmes, c’est que nous ne sommes pas conscients du sexisme de notre société. Si nous l’étions vraiment, comment ne pas s’offusquer et tout faire pour le combattre ? Comme des mots racistes ou antisémites, qui même s’ils sont pensés tout bas sont beaucoup plus rarement dits plus haut. Il faut dire qu’il y a de tels précédents que l’emploi de mots injurieux envers des juifs, par exemple, que les drapeaux rouges sont levés. On voit immédiatement la corrélation entre le fait de dire « youpin » et l’existence d’Auschwitz. Avant la deuxième guerre mondiale, les gens faisaient preuve d’un antisémitisme ordinaire qui ne choquait personne. Donc, si l’on a pu tirer une seule leçon utile de l’atrocité de la Shoah, c’est que la haine est une pente glissante.
Il n’existe pas de semblables occurrences pour les femmes me direz-vous ? Et bien si, et le plus triste est que nous avons oublié ou transformé ce massacre-là en image d’Epinal.


Marina Yaguello [Marina Yaguello, 2002]


Les mots et les femmes Chapitre IV
La langue du mépris
[…]
Remarque préliminaire : l’oppresseur dispose généralement d’un registre de mépris infiniment plus étendu à l’égard de l’opprimé que celui-ci à l’encontre de l’oppresseur. Ainsi les Blancs à l’égard des Noirs ou des Arabes, les Aryens par rapport aux Juijs, les hommes contre les femmes.Le droit de nommer est une prérogative du groupe dominant sur le groupe dominé. Ainsi les hommes ont-ils des milliers de mots pour désigner les femmes, dont l’immense majorité sont péjoratifs. L’inverse n’est pas vrai. La dissymétrie, à la fois quantitative et qulitative est flagrante.
Notons encore que les mots empruntés par l’oppresseur à l’opprimé ou désignant celui-ci, sont souvent détournés de leur sens d’origine, déformés, dépréciés, connotés péjorativement. […] « Le droit de nommer (Calvet, 1974) est le versant linguistique de l’appropriation. »
[…]
La péjoration de la femme est omniprésente dans la langue, à tous les niveaux et dans tous les registres. Dès l’enfance, chacun apprend que certains mots sont synonymes de prestige, alors que d’autres évoquent le ridicule, la faiblesse, la honte. Le petit garçon se sent conforté, soutenu, approuvé dans ses aspirations de petit coq, ce qui le mènera tout droit au gallismo (le sexisme à l’italienne). La petite fille se sent très vite coincée dans un rôle de poule : poule mouillée, poulette, poule caquetante, cocotte, poupoule, poule de luxe, mère poule ou poule pondeuse, à moins qu’elle ne soit une bécasse (bécassine), une oie (blanche), une dinde (bref, toute la basse-cour y passe) ou une pie jacassante. Toutes les espèces femelles peuvent prendre un sens péjoratif (les oiseaux et la volaille en particulier constituent la métaphore fondamentale de la femme). Ce n’est pas vrai des espèces mâles (mettons à part le paon vaniteux et l’ours mal léché). […]
Deux poids, deux mesures ; ce qui est qualité chez l’un est défaut chez l’autre : l’homme est un brillant causeur, une femme est un moulin à paroles, une pipelette, une commère, une bavasse. Un homme est un savant, une femme un bas-bleu ; un homme est discret, une femme est hypocrite ; un homme est ambitieux, une femme est intrigante, une femme est hystérique, un homme conteste…etc.. […]
Le corpus que je présente ici puise à plusieurs sources : Le Larousse analogique (1971), Le Dictionnaire des synonymes (Hachette, 1956), Le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud (1978). Il s’agit pour toutes ces entrées de la femme en général.[2]

Aimée, amazone, (petite) amie, amante
Baigneuse, bayadère, beauté, belle, blonde, blondine, bête, *bête à con, boudin, *bourrin, *briquette, brune, brunette, belle-mère, bonne sœur, bambine, bonne, bas-bleu
Commère, créature, courtisane, cocotte, camériste, chipie, concubine, caillette, cotillon, *cale, *carne, *cerneau, chameau, chatte, *chiasse, *chevreuil, *colibri, *colis, *con, *conifère, *connaude, *côtelette
Dame, demoiselle, demi-vierge, déesse, donzelle, demi-mondaine
Epouse, égérie
Fille, fille d’Eve, femme du monde, femme d’intérieur, femme galante, fée, femelle, femmelette, fatma, *fesse, fillette, *fumelle, favorite, furie
Grisette, garce, garçonne, garçon manqué, gonzesse, grognasse, *gerce, *gibier d’amour, *gisquette, *goyo, greluche, *grenouille, gendarme
Houri, héroïne, hommasse, hétaïre, *horizontale, harpie, *hirondelle
Ingénue
Jeune personne, jouvencelle, *jument, jupon
Laideron, lorette, luronne, *laitue, *langue, *lièvre, *limande, *linge
Mère, ménagère, mégère, miss matrone, maritorne, maîtresse, muse, madone, mijaurée, marâtre, moukère, mousmé, moitié, midinette, *manguese d’andouille, mangeuse de pommes, *mémé, *mistonne, môme, ùmorue, maîtresse femme, maîtresse de maison, mondaine
Nana, *nénesse, nymphe, naïade, *nière, *niousse, *nistonne
Odalisque, ondine
Péronnelle, poule, poulette, poupée, *pétasse, petite, *pisseuse, planète, *planche, poison, *pot de chambre, *pot de nuit, pouffiasse, (belle) personne
Personne du sexe, pucelle
Rombière, rousse, *requin, *ravelure, *repoussoir, *résidu, rosse, roulure
Sœur, sirène, soubrette, sainte nitouche, souris, snobinette, *sac de nuit, *saucisson, *sexe, sorcière
Tendron, *ortue, *trumeau, *toupie, typesse
Virago, vénus, vierge, vieille fille
*zigouince
[…]
Citation des Pasquier de Georges Duhamel
« En argot, il y a cent mots [pour désigner les femmes] et, ce qu’il y a de plus chic, c’est que tous ces mots d’argot ne sont pas synonymes. Fichtre non ! Margot la piquée, par example était exactement ce que j’appelle un choléra. Un choléra, c’est une petite femme brune, pas très soignée de sa personne, avec des ongles en deuil, et maigre, à montrer les os des hanches et les côtes et tout le bazar. La même personne qui serait grasse, on l’appellerait un boudin. Si, par hasard, elle est plus grande, pas très grasse, et mal peignée, c’est un raquin qu’il faut dire. La taille au-dessus encore, avec un brin de fesse et le tout à l’avenant, alors ça devient très bath, et c’est proprement une gonzesse. Et si la gonzesse devient vraiment maousse, houlpète, à l’arnache, autrement dit, alors, c’est une ménesse, quelque chose de tout à fait bien, l’article vraiment supérieur. Une ménesse qui prend de la boutielle, ça tourne vite en rombière, surtout si l’encolure commence à gagner en largeur. En si une rombière engraisse en gardant de la fermeté, c’est déjà presque une pétasse. Mais malheur, si ça ramollit, nous tombons dans la pouffiasse, horreur, et dans la grognasse, et là on ne sait plus où on va. »

L’immense majorité des mots qui désignent la femme sont violemment péjoratifs et portent des connotations haineuses. Elle est fondamentalement moche, au physique comme au moral, ce qui est pour le moins paradoxal dans une société qui enjoint aux femmes, avant tout, d’être belles.

(Justement, l’homme semble sans cesse déçu par la femme, peut-être parce qu’il assimile sa valeur intrinsèque à sa « beauté », mais que personne n’est belle aux yeux de tous. On peut s’accorder à trouver une femme jolie, mais tomber tous d’accord sur la beauté d’un être humain est une autre histoire.)

La maman elle-même n’échappe pas à la dépréciation. Elle se voit traiter de mère lapine, de mitrailleuse à lardons, de poule pondeuse. Les mots désignant la grossesse sont le plus souvent crus et déplaisants. La femme a avalé le pépin, elle a le ballon, la butte, elle est en cloque, elle enfle, elle gondole de la devanture, elle a un polichinelle dans le tiroir, elle marche à quatre pieds. Lorsqu’elle accouche, elle casse son œuf, elle chie un môme, elle pond, elle pisse son os ou sa côtelette, elle chatonne, etc.
« A travers ce langage, dit Guiraud, il apparaît que toute femme est une putain en puissance et à ce titre marquée des stigmates de la prostitution ; laideur, puanteur, méchanceté… »
Qui plus est, tous les qualificatifs féminins peuvent prendre un sens défavorable. Les mots les plus innocents peuvent être détournés de leur sens propre afin de qulifier la femme comme putain. Il apparaît donc impossible de dissocier l’image de la femme en général de celle de la femme prostituée.
Guiraud donne environ 600 termes pour désigner la putain. Quelle est donc la genèse de ce vocabulaire ? En dehors de quelques termes argotiques et absents du vocabulaire commun, on trouve essentiellement des mots dont le sens a été détourné par différents procédés qui tiennent de l’euphémisme et de la métaphore.
Notons d’abord les mots étrangers ;
Bayadère : danseuse sacrée de l’Inde
Houri : beauté céleste que le Coran promet au musulman fidèle dans le paradis d’Allah.
Hétaïre : courtisane d’un rang social élevé (en Grèce ancienne)
Mousmé : jeune fille, jeune femme japonaise
Moukère : déformation de mujer (« femme » en espagnol)
Odalisque : esclave qui était au service des femmes d’un harem (Turquie)
Almée : de l’arabe aluma, « savante »
Fatma : déformation de fatima
(Définitions du Petit Robert)
[…]
La dérision se cache également dans des mots exagérement laudatifs : amazone, cascadeuse, championne d’amour, dame aux camélias, prêtresse de Vénus, princesse de l’asphalte, Vénus populaire, vésuvienne, vendangeuse d’amour. […] Les termes n’en sont que plus dérisoires dans le contexte sordide de la prostitution.
Voilà pour l’aspect qualitatif de la question. Reste l’aspect quantitatif. Le corpus de Guiraud est de 600 mots et n’est lui-même pas exhaustif. Les mots désignant les hommes sont, eux, très peu nombreux, 4 ou 5 dans les dictionnaires analogiques, 36 chez Guiraud. L’extraordinaire abondance de ce vocabulaire appelle une explication. […]
Or, ce vocabulaire est 1) de création essentiellement masculine, 2) essentiellement péjoratif.
[…]
Les noms de l’orgasme. Guiraud en dénombre 50 qui désignent l’orgasme masculin, 9 seulement pour les femmes.Le vocabulaire érotique souligne ainsi le contraste entre la femme passive et l’homme actif. Sur 1300 synonymes de coït, environ 80 le définissent du point de vue féminin. Et encore, tous ces mots ont-ils un sens passif. Tout est fait pour souligner l’opposition des pôles : actif/passif, fort/faible, négatif/harmonieux, négatif/positif, alors qu’il faudrait favoriser la synthèse harmonieuse des principes contraires.
(Le désir d’harmonie est en soi un principe féminin… N’est-ce pas « féminiser » le débat ?)
La plupart des synonymes de baiser ou de coït, de référence et d’utilisation purement masculines ont un senshostile, agressif.L’idée de lutte et d’attaque y est centrale. Corrélativement le pénis est bu comme une arme ou un outil. Ce que manifeste de tout temps le folklore sexuel[3]. Le bon baiseur est valorisé pour sa vaillance et sa vigueur au « combat ». […]
Rien d’étonnant alors à ce que le verbe baiser ait une construction différente pour les hommes et les femmes. Un homme baise une femme (transitif) ; une femme se fait baiser. A la rigueur, elle baise avec ou elle baise tout court (constructions intransitives). Il est à noter que le sens figuré de baiser « tromper », « être plus fort que », « abuser de », « abîmer » a une construction transitive, porteuse d’un sens négatif. C’est seulement dans ce sens figuré que la femme devient sujet-agent du verbe baiser. D’autres verbes intransitifs peuvent devenir transitifs avec un homme pour sujet et une femme pour objet. Par exemple, sauter une fille ou tomber une fille.
La jeune fille apparaît comme absolument passive ; elle est mariée, donnée en mariage par ses parents. Les garçons se marient, ils prennent femme. (Beauvoir, 1949, 1975, tome II, p14)
[…]
L’injure sexuelle est strictement à sens unique. Seuls les hommes la manient, entre eux ou contre les femmes. « Sale connasse, note B. Groult, est une insulte raciste, comme sale nègre ou sale juif. ( le parallèle établi maintes fois entre racisme et sexisme est là encore établi). Qui a jamais traité un homme de sale verge ou de sale bitasse ? Faut-il vraiment croire à un hasard ? » (Groult, 1975, p93-94)
Les femmes, elles, ne sont pas atteintes de cette rage d’humilier ce qu’elles aiment : pour elles, un homme ne se réduit pas à son phallus, à son zob, à sa trique, à son truc : on cherche uen vain un mot insultant, tous sont revêtus d’une nuance flatteuse. Elles ont plus d’intelligence que l’autre sexe. Et si elles le haïssent, elles s’en prennent au tout plutôt qu’aux parties. (ibid., p122)

Et c’est bien là la problème de fond. Les femmes, elles, ne sont pas victimes de cette ambivalence conflictuelle, faite d’attraction/répulsion, d’amour/haine, de désir/angoisse. Pour l’homme, la consommation de la femme est associée à celle de performance. D’où l’angoisse fondamentale de celui qui désire ce qu’il a peur de ne savoir posséder. La langue se fait reflet de cette angoisse. Les uns et les autresont tout a y perdre car les deux rôles extrêmes imposés à la femme – la madonne et la putain – ne laissent aucune place au développement d’une personne vraie, d’une personne tout simplement humaine.

Vais-je arriver à la soumettre à ma volonté ?


[1] Yaguello, Marina (2002) Les mots et les femmes, Poche, Paris,
[2] L’astérisque signale les mots qui ne se trouvent que chez Guiraud et dont l’usage est manifestement plus restreint.
[3] Les chansons de métier, exaltant l’homme maniant son outil peuvent prendre un sens paillard caché, compréhensible aux seuls initiés, par le jeu de la métaphore qui fait du pénis un outil. Le sexe de la femme, inversement est défini comme un trou, un creux, un vase, une ouverture, une enclume. Ainsi le tisserand éc arte les fils de chaîne pour y introduire sa navette, le foreur de tunnels défonce le rocher avec son pic, le cultivateur la terre avec le socle de sa charrue, le forgeron frappe du marteau sur l’enclume

3 commentaires:

  1. pas mal....j"aurais bien dit chouette mais ...

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  2. je suis indonésienne, et j'aimerais bien de savoir plus, du sexisme de la langue française. mrc

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  3. Article passionnant et qui nous aide à sortir de notre léthargie...

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